Arsémide, objet littéraire non identifiable, qui tient à la fois du mouvement perpétuel, de la bande de Möbius et « un peu du miracle » (écrira la poétesse Viola Fischerová dans une note en marge de la première édition), est, avec quelques poèmes de Jiří Kolář, l’une des très rares traces du legs spirituel de Ladislav Klíma que conserve la littérature tchèque. La première version, commise en 1956 – moitié par jeu, moitié par défi de la part de celui qui, enfant encore, était alors apprenti dans un atelier de mécanique légère – et « publiée » l’année suivante en un unique exemplaire dactylographié, sera ensuite perdue et retrouvée par deux fois avant de connaître trois éditions (1997, 2004, 2016) et autant d’augmentations successives et asynchrones pour aboutir à la « féerie en 41 tableaux et quatre versions » qui a servi de base à la traduction française. Au moment où la mort l’a surpris, l’auteur travaillait même à une cinquième, qui aurait porté le total des tableaux au-delà de 50 – non en en remettant une couche par-dessus, mais comme la vie, palimpseste qui oublierait de s’effacer, en entretissant le neuf à l’ancien. Tantôt poème, en prose ou en vers, tantôt inventaire, vaticination, fable, saynète, mini-essai, parabole, paradoxe, canular, confession, dialogue, mise en abyme, semé de clins d’œil à Joyce ou à Morgenstern, à Tchekhov ou à Charlot, avec un arrière-parfum d’oulipisme avant la lettre, c’est une œuvre d’art (les illustrations aussi sont de l’auteur) et de pensée totale. Absurde au sens le plus vivifiant du terme. D’une lecture intimement réjouissante par temps de détresse.
« ... œuvre singulière, insolite, étrange [...] monolithe d’originalité jusque dans la différentielle de la syllabe ou l’atome du phonème... »
Václav Havel
Arsémide / Ivan M. Havel