Extrait de la préface d’Antoine Volodine :
« Se pencher sur les livres de Chargounov et sur son destin en tant que Russe pris dans le tourbillon de l’Histoire revient, très naturellement, à toucher en profondeur la complexité du patriotisme russe contemporain et l’essence même de la fameuse âme russe envers laquelle en ces temps de guerre l’Occident a perdu toute sa vieille sympathie.
On a pu lire en français Livre sans photographies et 1993, deux ouvrages autobiographiques, composés de récits et de portraits, bourrés d’anecdotes attachantes, qui éclairent l’histoire de Chargounov en tant qu’individu en formation, débutant dans la vie publique et dans la vie tout court. Le livre que vous tenez en main est intitulé en russe Svoi, qui peut être traduit à la fois comme "Les Miens" et comme "Les Nôtres". L’ambiguïté est ici formidablement riche : le destin qui va se dessiner dans ce livre concerne une famille et ses nombreuses branches, et, comme cette famille traverse le xxe siècle, elle va en connaître tous les sursauts, les tragédies, les bonheurs, les malheurs et les peurs. Personne, en Union soviétique, n’a été épargné par la répression politique, culturelle, religieuse, sociale, et, à travers les petits et grands tableaux que brosse Chargounov, on accompagne l’ensemble du peuple russe sur son difficile chemin. Pour aboutir à ce que Chargounov considérera plus tard comme une nouvelle catastrophe : la dislocation du monde soviétique. »
La langue de Chargounov s’accorde parfaitement à son projet littéraire : donner pleine lumière à ceux et celles qui l’ont précédé et dont il porte l’héritage culturel, intellectuel, historique et sensible, rendre hommage à ceux et celles qui ont façonné de mille manières l’âme russe qui s’est ancrée en lui à la naissance et à jamais. Une âme russe aux valeurs et aux traditions si puissantes, si vibrantes, si inattaquables, qu’elle s’impose d’elle-même et fait corps avec tout créateur né en Russie, tout poète, tout écrivain ou cinéaste, quels que soient l’époque et le lieu d’où il parle. Et, au-delà, qui habite intensément tout Russe ou s’affirmant comme tel, qu’il soit aujourd’hui en Russie ou en exil.