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Tout vaut la peine si l'âme n'est pas petite
Fernando Pessoa


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Les papillons de Kracov

Spécifications

Quand nous ne lirons plus les livres sous la mer Gouache de Sophie Grandval

Sylvie-E. Saliceti

Genre : Poésie
Format : 12 x 18,5 cm
Avec une gouache de Sophie Grandval
64 p.
ISBN 978 249 0251 186
5 mars 2021
14,00 € l'unité


« Descendre dans le paysage sous la mer. Au fil de la descente, le bleu s’efface, le noir gagne, la parole bavarde pèse sur les poumons, peu à peu il s’agit de se taire, les mots se comptent avec l’air et l’économie des gestes. Au début la profondeur enivre. Celui qui est descendu vers ce non-lieu vagabonde à demi-vivant parmi les voix-minérale, végétale, animale-voix multiples du corail, sa respiration devient courte, il est aspiré par l’ivresse de la plongée. D'emblée le monde sous-marin propose un brouhaha aux sons étouffés, une parole grisante, peu audible, puis imperceptiblement l’eau s’impose comme le maître.»
Sylvie-E. Saliceti plonge en apnée au cœur des ténèbres pour rejoindre le battement obsédant d’un tempo, celui de son propre cœur.

Les Papillons de Kracov / Sylvie-E. Saliceti

Oeuvre de Sophie Grandval

Sophie Grandval Poisson

Articles de presse


 

 

Gérard Georges Lemaire, Verso, mars 2021

Les Papillons de Kracov, quand nous ne lirons plus les livres sous les mers, Sylvie-E Saliceti, gouache de Sophie Granval, Editions du Canoë, 64 p., 14 euro.

tomber des nuesQuand on lit le poème qui fait office d'ouverture à ce texte, on ne peut s'empêcher de penser aux Pêcheurs de perles, oeuvre que Georges Bizet a composée en 1863. Fort heureusement, l'auteur est bien loin de cette histoire mélodramatique et sirupeuse ! Sylvie-E. Saliceti a choisi de se servir de la plongée en apnée comme d'une métaphore qu'elle déclinée tout au long de son bref récit – qui est d'ailleurs plutôt une méditation qui prend différents aspects et qui attribue à la recherche du corail dans les eaux profondes une valeur métaphysique ou littéraire. C'est sa manière de rendre tangible et intelligible le fait de s'immerger le plus loin possible sous la surface et puis de ressurgir à la surface. Sous sa plume, les corailleurs se changent en aventuriers de l'esprit qui osent s'enfoncer dans les eaux pour découvrir des univers inconnus ou hors de portée.
Elle les représente comme des hommes s'enfonçant dans les ténèbres pour parvenir jusqu'à l'oeil de Dieu. Ils sont aussi ceux qui prennent de grands risques pour pénétrer des régions où l'on « déchiffre l'inconnu du monde ». Son écriture très elliptique et sans aucun baroquisme nous permet de comprendre toutes ces interrogations qui entourent les menées de ces pêcheurs qui ne craignent pas d'affronter ce qui est enfoui sous les eaux. D'une certaine façon, elle veut mettre en évidence ce que la littérature peut signifier à partir du moment où on ne la considère plus comme une futilité ou un divertissement.
Elle fait aussi un parallèle entre leur descente vertigineuse et le périple impensable d'Orphée dans les Enfers pour retrouver Eurydice – la même intrépidité, le même élan du cœur, le même défi lancé aux lois imposées par les dieux aux humains. Elle ne cesse de se demander quelle est la véritable finalité de cette entreprise insensée. Elle n'apporte pas de réponses, mais d'autres questions, et elle dépeint ce que peuvent être certaines curiosités dangereuses de l'esprit et certaines motivations dérangeantes car tout n'est pas rose sous ces vastes océans. Les découvertes que font ces sambouks qui s'enfoncent dans les flots sont de nature contradictoire : le plus beau est lié étroitement au plus terrible. Ainsi nous conte-t-elle l'expérience de qui a l'ambition d'écrire et d'aller jusqu'aux tréfonds de ce qui peut être vu et entendu. Inclassables, ces pages placent le lecteur devant l'expérience cruciale que tentent ceux qui aiment lire sans toujours comprendre qu'ils sont allés outre leur être.

 


 

Sylvie-E. Saliceti, Les Papillons de Kracov

lelitteraire.com 27 février 2021 - Jean-Paul Gavard-Perret

kracovConnais­sance par les gouffres

Pour prendre de la hau­teur, il faut par­fois s’élever dans gouffres, y entrer comme s’y confinent les der­niers pêcheurs de corail répar­tis essen­tiel­le­ment entre l’Italie et la Corse. Le sous-titre « Quand nous ne lirons plus les livres sous la mer » semble énig­ma­tique.
Il est pour­tant né de l’histoire authen­tique qu’un de ces ultimes pêcheurs a raconté à l’auteure.Pour atteindre les colo­nies de corail et pra­ti­quer la cueillette, ils doivent par­fois glis­ser dans les abysses, jusqu’à 100 mètres. Les plon­geurs — pour remon­ter le long “de la corde à singe” qui les relie à leur bateau — ont l’obligation de res­pec­ter une lente dis­ci­pline, avec des paliers pour évi­ter tout risque de mort.

Ces seuils de décom­pres­sion durent long­temps ; au point que cer­tains pêcheurs de corail occupent leur temps par la lec­ture. Ils lisent des livres de poche ache­tés pour l’occasion.
Ils les lisent sous l’eau à la lumière d’une lampe fron­tale : “D’une main, le plon­geur s’agrippe à la corde ; de l’autre il tient l’ouvrage. Là sous la mer, il lit des livres dont les pages finissent empor­tées par le cou­rant. Des lam­beaux de feuilles peu à peu se détachent ; des phrases impri­mées sur­nagent ici et là.”

Ces orpailleurs d’un or rose et des pro­fon­deurs deviennent les acteurs d’une scène allé­go­rique. Elle ren­voie à une expé­rience de la poé­sie et ses voyages au sein des pro­fon­deurs au moment où le corail — être vivant des abysses — se voit peu à peu en jachère et éli­miné par les incon­sé­quences humaines.
Si bien qu’à l’expérience poé­tique se mêle aussi le drame éco­lo­gique qui voue le monde à sa perte.

Les poèmes de Sylvie-E. Sali­ceti décryptent l’avidité inas­sou­vie des pro­fon­deurs C’est pour­quoi, et sous l’allégorie, ouvrir ce livre revient à s’ouvrir soi-même et à l’impatience d’un des­tin et contre la détresse de l’asthme spi­ri­tuel.
Dès lors, résonne en nous une voix sin­gu­lière qui obéit à l’ordre du ren­ver­se­ment contre des déroutes.
Comme les pêcheurs, la poé­tesse offre une trans­mis­sion en plon­geant au fond du connu pour y recueillir de l’insondable. A l’obscurité de l’inconnu et par la scan­sion du poème en prose se crée un flux où le réel se refuse d’agonir — ce qui obli­ge­rait peu à peu à ne se frayer une voie que dans l’accablant.

D’où la fièvre du cadrage poé­tique pour mieux “cher­cher un monde qui puisse rece­voir ensemble la grâce et la pesan­teur”. Contre la mort que l’on se donne et contre un uni­vers d’ombres, le rouge de “la flûte creu­sée dans le fémur de la bête” ‘ins­crit bien plus qu’une conscience éco­lo­gique. S’y mêle un acte de foi et s’invente, par-delà “le récit du désir simple d’être là, à sculp­ter nos ailes de métal ainsi que ces mil­liers de papillons fabri­qués par Cra­cov : un papillon de cou­leur par enfant sauvé des affres de la lumière irra­diantes, à Tcher­no­byl”.
L’auteure se bat pour la sur­vie et la beauté du monde et pour l’élévation de l’âme. Elle nous fait atteindre un monde fabu­leux, son savoir, ses “forêts sous la mer aussi sonores que ces prai­ries ter­restres où reposent ici ou là les cha­mois aux cornes ensan­glan­tées”. Avant le coup de dés final sur le vivant, Sylvie-E. Sali­ceti quitte le sol amé­nagé pour nous alar­mer face à ce qui disparaît.

La poé­sie est donc bien une connais­sance par les gouffres. Elle vient mettre à mal une séré­nité de sur­face et qui n’a plus rai­son d’être. Le tout en reliefs d’émotion où l’auteure se veut agis­sante sous la grande table bleue. S’inscrivent un appel, un effort à venir là où comme dans les eaux anciennes, la poé­tesse cherche ce qui pour­rait sur-vivre dans un mou­ve­ment aussi léger et fort que celui des der­niers nageurs. Ils avancent aériens au sein des pro­fon­deurs.
Après être des­cen­dus, ils remontent len­te­ment vers une cime qui est le plan­cher des vaches pour coha­bi­ter avec les autres et le monde qu’il s’agit de sau­ver et dont la poé­tesse rameute le récit au nom de “l’enfant de la nuit”. Il croit encore au soleil.

jean-paul gavard-perret

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